Il m'a dit d'un air un peu étonné : "C'est bizarre, les cadavres, il n'y a plus personne à l'intérieur."
J'ai souri, je crois. Oui, c'est bien cela : il n'y a plus personne à l'intérieur... A trop vouloir chercher au-delà, c'est ce qui arrive. Bêtement.
Comment prétendre s'établir dans des 'plans supérieurs de la conscience' alors qu'en général on est incapable d'habiter pleinement son corps et ses sens?
Lorsque j'habite pleinement mon corps, je n'ai aucun besoin de m'occuper l'esprit à chercher des repères, des explications sécurisantes. Je me fais croire que je m'élève sur une montagne alors que mes pieds n'ont pas décollés du sol. Je me fais croire que j'ai besoin de prises pour escalader la montagne (croyances, pratiques, image de soi ou de 'dieu').
Au coeur de mon propre rêve d'élévation, je commence à descendre. Et une fois pleinement sur le sol et donc dans la conscience corporelle, je me réveille et m'aperçois que je n'ai jamais quitté la terre ferme. J'ai seulement rêvé que je la quittais; mais maintenant c'est fini. Je sens la terre sous mes pieds, la terre de la présence sacrée. Je puis alors parler du divin parce que j'en ai la saveur. Il est le sol sur lequel je découvre l'énorme liberté de n'avoir plus de prises à saisir. J'ai les mains grandes ouvertes, je peux faire mille cabrioles. 'Bienheureux les pauvres!'. Je découvre alors que cette terre si ferme est semblable au ciel et que je flotte, libre de mon propre poids. Je ne pèse plus rien. Je suis la nature de l'espace qui m'entoure. Je n'ai pas de passé, pas d'avenir, pas de territoire. Je n'ai rien. Je suis nu. Je suis dépouillé de tout vêtement et identification, vêtu de ciel, JE SUIS DE NE PAS ETRE.
Quand on est pleinement dans la conscience corporelle, on se rend compte que pour l'intelligence du corps, il n'y a ni temps ni espace.
Je m'explique : le corps est toujours dans l'instant car les 5 sens sont de l'ordre de l'instantanéité : je regarde l'arbre, c'est du présent, mais lorsque je me dis que je regarde l'arbre, c'est déjà mon mental, je rentre dans le processus temporel à savoir : 'l'idée que je regarde l'arbre' qui se superpose à la vitesse de l'éclair sur la pure perception du présent.
L'instant, c'est l'éternité, l'intemporalité car bien que toutes sortes de choses se produisent et se sont produites, tout cela se fait à l'intérieur du grand 'ici et maintenant' qui inclut tous les 'temps'. La pensée, c'est la temporalité, car elle ne rencontre pas le flux de la vie qui est dans l'instant, elle est toujours en retard, elle ne peut saisir qu'un cadavre du réel, une représentation mentalisée du réel et non le réel. Ensuite, pour le corps et les sens, il n'y a pas non plus d'espace, pas d'intérieur ni d'extérieur, car comment puis-je me distinguer de l'arbre puisque le mécanisme mental n'intervient pas au moment de la perception pure? L'oeil n'a aucune possibilité de se distinguer de ce qu'il voit, c'est uniquement lorsque l'idée que 'je regarde l'arbre' émerge que la dualité sujet/objet commence à apparaître! Ceci était un exemple avec le sens de la vue, mais il en va de même avec tous les autres sens du corps. On dit à tort que l'occident est matérialiste, mais c'est faux, il est MENTALISTE. Si l'occident vivait vraiment dans la matière, le corps et la concrétude, les gens venu au monde dans cette culture habiteraient davantage leur corps et vivrait l'instant ! Cependant, ce problème n'est pas propre à l'occident, même si on le retrouve massivement chez nous. Beaucoup d'ascètes cherchent aussi le divin ailleurs que dans leur corps... En discutant un jour avec un homme que je considère comme ayant atteint un certain niveau de réalisation, je me suis rendu compte à quel point la méconnaissance du corps pouvait encore entraver certaines personnes vivant pourtant d'une authentique spiritualité. Celui-ci me disait : 'mon corps n'est que fioriture, aucune importance...' Je lui parlais des quelques expériences d'unité que j'avais pu vivre et lui disais : quand j'ai vécu le sacré, je sentais intuitivement qu'il s'agissait de quelque chose que je 'connaissais' cellulairement, qui n'a jamais quitté mon corps en quelque sorte. Je pense que c'est le mental qui nous en sépare mais que le corps, lui, baigne dans cette atmosphère lumineuse en permanence. Lui me rétorquait que : ' Benjamin, ce n'est pas dans le corps ni dans le mental mais par-delà l'au-delà du mental plus encore, au sein de ce que tu es en somme. Le corps baigne dans ce qu'est le monde, le mental dans ce qu'est l'univers, le sacré est encore par-delà'. Je lui ai dit que je n'étais pas d'accord, parce que le corps est LIBRE, l'intelligence du corps est reliée à la source sacrée de toute chose... c'est en quelque sorte le psychisme qui dérègle, court-circuite l'unité entre le corps et le spirituel. D'ailleurs le but avoué de l'alchimie n'est-il pas l'édification du 'corps spirituel' (autre terme pour parler de la pierre philosophale)? La méditation nous montre qu'il suffit d'être présent au souffle physique pour entrer dans le mouvement du souffle spirituel qui nous conduit au-delà du temps et de l'espace, là où tout ne forme plus qu'un cyclone divin dont l'oeil qui est au centre est immobile... immobilité qui n'est rien d'autre que la vitesse infinie du mouvement