• Le matin des magiciens

    Du temps où je pensais pouvoir posséder la vérité dans mon âme et dans mon corps, où j’imaginais avoir bientôt la solution à tout, à l'école du philosophe Gurdjieff, il est un mot que je n’entendis jamais prononcer ; c’est le mot amour. Je ne dispose aujourd’hui d’aucune certitude absolue. Je ne saurais avancer résolument comme valable la plus timide des hypothèses formulées dans cet ouvrage. Cinq ans de réflexion et de travail avec Jacques Bergier ne m’ont apporté qu’une seule chose : la volonté de tenir mon esprit en état de surprise et en état de confiance devant toutes les formes de la vie et devant toutes les traces de l’intelligence dans le vivant. Ces deux états : surprise et confiance, sont inséparables. La volonté d’y parvenir et de s’y maintenir subit à la longue une transformation. Elle cesse d’être volonté, c'est-à-dire joug, pour devenir amour, c'est-à-dire joie et liberté. En un mot, mon seul acquis est que je porte en moi, désormais indéracinable, l’amour du vivant, sur ce monde et dans l’infinité des mondes.

    Pour honorer et exprimer cet amour puissant, complexe, nous ne nous sommes sans doute pas limités, Jacques Bergier et moi, à la méthode scientifique, comme l’eût exigé la prudence. Mais qu’est-ce que l’amour prudent ? Nos méthodes furent celles des savants, mais aussi des théologiens, des poètes, des sorciers, des mages et des enfants. Somme toute, nous nous sommes conduits en barbares, préférant l’invasion à l’évasion. C’est que quelque chose nous disait qu’en effet nous faisions partie des troupes étrangères, des hordes fantomatiques, menées par des trompettes à ultra-son, des cohortes transparentes et désordonnées qui commencent à déferler sur notre civilisation. Nous sommes du côté des envahisseurs, du côté de la vie qui vient, du côté du changement d’âge et du changement de pensée. Erreur ? Folie ? Une vie d’homme ne se justifie que par l’effort, même malheureux, vers le mieux comprendre. Et le mieux comprendre, c’est le mieux adhérer. Plus je comprends, plus j’aime, car tout ce qui est compris est bien.

    Louis Pauwels, 1960


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